Ce vendredi 27 mars 2020, Kinshasa se prépare à entrer en confinement après une journée folle. La veille, en effet, le Gouverneur de la ville avait décrété un confinement totale pour une durée de 4 jours par semaine durant trois semaines. Pendant ces 4 jours x 3, les Kinois étaient censés garder la maison et n’observer leur ville que par leurs fenêtres.
En cette fin de journée, la place commerciale dite Kintambo-magasin présente un visage digne d’un champ de bataille. Les chaussées et les trottoirs sont jonchés de sachets, papiers, cartons, bouteilles plastiques canettes et tout autre emballage abandonné par la foule qui traîne encore en ce lieu. Les conducteurs se confinent dans les bouchons inextricables, tandis que les quelques magasins encore ouverts continuent d’être pris d’assaut par les kinois pressés de se constituer un stock de survie.
Les pharmacies n’y échappent pas, autant que les bureaux de change et toute autre forme de commerce alentour, même ambulant. Un vendeur de chips à base de banane plantain vient à passer par là et se fait vite assaillir. Bien lui en prend car, à l’instant même, son instinct commercial lui fait passer le prix de sa marchandise de 100 Fc à 500 Fc. Rien à faire, il écoule tout en un quart de tour.
Les arrêts des transports ne désemplissent pas, tandis que d’autres foules refluent de la ville. Par grappes entières, les kinois débarquent des différents transports, chargés de colis et suant de tous leurs corps, signe de la bataille qu’ils viennent également de livrer pour se constituer aussi des stocks de survie pendant le confinement.
Par un heureux hasard, une connaissance me reconnaît dans la foule et me prend à bord de son véhicule, direction Mont Ngaliema vers la commune du même nom. L’avenue des Ecuries est infranchissable avec le bouchon qui s’y est installé.
Au niveau d’Equity Bank (ex Procrédit), non loin de Ngaliema médical center, un jeune homme s’affaire nerveusement sur un DAB (distributeur automatique des billets) qui n’a plus rien à donner. Autour de lui, une bonne dizaine d’autres personnes attendent, tournoyant comme des hyènes et espérant peut-être un miracle qui ne viendra certainement pas à cette heure, alors que les magasins de plus en plus vides ferment les uns après les autres.
A cause du confinement surprise, les kinois ont été à ce point contraints de s’auto dévaliser pour aller ensuite se faire détrousser sur le marché dans une sarabande des prix. Couvrant d’une chape noire le devoir de solidarité en cette circonstance, les commerçants véreux ont doublé, triplé, quadruplé, voire même quintuplé les prix sous le regard confiné de l’Etat.
Mon regard se promène ensuite sur ce paysage surréaliste d’un fleuve Congo imperturbable et curieusement indifférent, passant allègrement et toujours majestueusement son chemin.
Sur les hauteurs de « Mont Ngaliema », la maison communale – confinée depuis deux mois par des « combattants » de l’Udps, parti présidentiel – sombre également dans l’obscurité de la nuit tombante. Idem pour l’imposant bâtiment du ministère de la défense attenant à l’état-major général des forces armées de la République.
En face, le tribunal de paix sombre aussi dans la paix incertaine de cette obscurité qui enveloppe aussi l’auditorat militaire situé à un jet de salive sur la même rangée.
Et (re) en face, se dresse l’allée menant à la cité de l’Union africaine. Ici loge et travaille le Président de la République, premier citoyen du Congo bientôt sexagénaire. A l’instant, comme par un effet d’optique psychologique, j’entends en échos le premier message du chef de l’Etat annonçant ses premières mesures officielles contre le coronavirus qui a mis le pays en transe depuis quelque deux semaines déjà.
Toujours comme par effet d’optique psychologique, j’aperçois, derrière le rideau des dards d’un soleil de plomb, l’image du PR dans son chemisier bleu marine qui détonne grave avec la circonstance. Je l’aperçois au fond de son fauteuil en posture désespérante de résignation, posture que souligne un regard quasi vide, rivé sur le prompteur qui lui fait défiler le message qu’il déclame d’un ton monocorde.
Rien à voir avec la posture hautement martiale d’un Macron hexagonal…Les spécialistes en communication s’y pencheront un jour, peut-être…
En attendant, revenu à moi, mon regard continue de passer en revue ce site le plus sécurisé de la capitale et même du pays. En bout de piste, je termine mon exercice sur le camp Tshatshi, calfeutré derrière son mur de clôture érigé voici quelques années à la suite de l’intrusion de quelques illuminés présentés à l’époque comme des adeptes de Mukungubila.
Ici se termine mon passage en revue de la zone la plus sécurisée de mon pays. Perchée sur les hauteurs de Binza, elle semble hors d’atteinte de toutes les complaintes des kinois qui s’élèvent en contre-bas. Pourtant, juste en pointe, au Cercle hippique de Kinshasa, venait de se dérouler quelques heures plus tôt, un spectacle symptomatique de cette complainte.
La population environnante s’est ruée sur ce site protégé pour son rôle régulateur de l’environnement et qui justifie justement l’appellation d’ «Ozone » donnée à cette partie de la commune de Ngaliema. Ce site a fait l’objet d’une ruée sur ce qu’il convient d’appeler l’or vert, ce fameux « congo bololo » qui boosterait le système immunitaire contre le coronavirus.
Presqu’en un clin d’œil, la petite broussaille a disparu, livrant le sol aux assauts des eaux pluviales avec des risques sur les quartiers comme Mont Fleuri situés en contre-bas. En attendant, cependant, les chasseurs de l’or vert s’en sont mis pleins les poches : une botte de « congo bololo » est passée de 200 Fc en moyenne à 2.000 Fc, plus cher que le pondu national.
Enfin, Kinshasa a fini de s’habiller de la nuit, et Binza Ozone en est l’un des témoignages vivants grâce à la Snel et son courant intermittent. En quatre heures, entre 19h et 23h, on aura connu au total 11 coupures de courant, soit près de trois coupures par heure.
Enfin, je m’installe petit à petit dans ma résignation avec mon oreillette qui me rapporte les nouvelles du pays. A 19 heures, le journal de Top Congo fait défiler les députés et sénateurs qui convergent au moins sur un point : le confinement brusque a entraîné un mouvement de population, provoquant et renforçant à ce point la promiscuité que ce moment aura certainement occasionné une contamination de masses au coronavirus.
Terrible conclusion qui résonne encore à mes oreilles lorsque le présentateur interrompt son journal pour annoncer un message du Gouverneur de la ville qui vient de décider du report, sine die, du confinement. Motif : surenchère sur le marché et risques des pillages.
Enfin, après avoir assisté, confiné, à la hausse des prix et sans avoir pris la mesure des risques d’une telle décision alors que, par exemple, les policiers et militaires sont impayés et que leurs dépendants (épouses, enfants, etc.) sont empêchés d’exercer leurs commerces de survie et que c’est aux mêmes policiers de veiller au respect de cette mesure, après donc tout cela, l’Etat est sorti de son confinement. Une sortie qui, cependant, envoie en confinement le crédit confiance qui lui restait encore…
Qu’à cela ne tienne, au matin du samedi 28 mars, les kinois auront droit à une autre surprise : gratuité de l’eau pendant deux mois. Mais pour quel bénéfice lorsque la fourniture de cette eau est en confinement intermittent ?
En attendant, ce à quoi les kinois ne font pas attention, c’est que le confinement est reporté « à une date à fixer dans les meilleurs délais », selon un communiqué de la Primature.
Mais, bon… Confinement KVK. Confinement kwenda-vutuka-kwenda…
Jonas Eugène Kota